Intervention auprès des jeunes du Lycée Rochambeau à Washington
Vendredi 14 octobre 2022
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Madame Ibn Ziaten est intervenue le vendredi 14 octobre 2022 dans la matinée au lycée Rochambeau de la ville de Washington auprès de 170 élèves, accompagnés de leurs professeurs. « J'ai reçu un accueil très chaleureux, il y avait beaucoup d'émotion. Questions : "Pourquoi y a-t-il ces cités fermées ? Qui est responsable ?" J'ai répondu que "c'est de notre responsabilité à toutes et à tous, à tous les niveaux, en commençant par l'État, et jusqu'au simple citoyen. Malheureusement, beaucoup de personnes qui vivent dans ces cités ne font rien pour s'en sortir, ni pour elles-mêmes, ni pour leurs enfants, alors qu'il est possible de faire des efforts pour en sortir ou pour les rendre plus vivables, même si c'est très difficile. On entend toujours que les jeunes issus des cités ne réussissent pas. Il est vrai que c'est difficile pour eux. Ils vivent dans ces cités fermées, il n'y a pas de mixité, ils sont ensemble, vont à l'école ensemble. Ce n'est pas simple. Mais il y a beaucoup de jeunes qui s'en sortent, heureusement ! Il faudrait d'avantage mettre en avant ces réussites et cette détermination. Certains jeunes issus de ces cités font des études, travaillent en France, en Europe, partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Chaque jeune doit créer sa chance ! Vous devez savoir que le terrorisme prend racine dans les fragilités d'une Jeunesse qui ne se sent pas républicaine. Certains jeunes se sentent oubliés par la République, alors que ce n'est pas le cas. Il faut se sortir ces idées de la tête et fournir des efforts pour devenir un citoyen, avancer dans la vie, avoir confiance en soi et ne rien lâcher. Certaines personnes très dangereuses (dans le milieu de la drogue, les mafias, cette secte qu'est l'intégrisme) exploitent la détresse de cette Jeunesse. C'est très violent et dangereux. Ces personnes-là ne véhiculent que de la haine, font croire aux jeunes qu'ils ne vivent que dans la haine. Alors si un jeune n'a rien vu de beau dans sa vie, il peut tomber dans ce piège et, à son tour, propager la haine. C'est pourquoi il est important d'éduquer cette Jeunesse. Certains jeunes n'ont pas de chance, ils sont livrés à eux-mêmes car les parents ne s'occupent pas d'eux. La situation est alors très difficile. Un jeune doit être accompagné, cadré, aimé. Pour un enfant qui grandit sans amour, c'est très difficile. L'amour ça fait grandir, l'amour ça fait rêver, l'amour ça donne de l'espoir, l'amour ça enrichit, l'amour, ça favorise le partage, l'amour, ça favorise le respect. Tout est dans l'amour. L'amour comble notre vie." "Avez-vous pardonné à l'assassin de votre fils ?" J'ai répondu que "j'ai pardonné qui il était, mais pas ce qu'il a fait. Il a fait sept victimes innocentes, gratuitement. Il a sali le nom de l'Islam et n'a laissé que de la souffrance. Mais c'est un enfant qui a beaucoup souffert, qui n'a pas reçu d'amour dans sa famille. En revanche, je ne peux pas pardonner à sa mère, ce n'est pas possible. Elle a eu quatre enfants et les quatre sont dangereux. Dans une famille, il peut malheureusement y avoir un enfant qui n'est pas sur le droit chemin, qui va commettre des actes graves. On peut alors demander de l'aide. Mais dans cette famille, ce sont les quatre enfants qui ne propagent que de la haine, qui ne font que le mal. La mère n'a donné aucun amour, ne s'est pas occupé de ses enfants, dont certains se sont mis à boire et à fumer à l'âge de 11 ans ! Les enfants étaient très durs et la mère laissait parfois Mohamed dormir dans la cage d'escalier. Je ne peux pas cautionner qu'une mère fasse subir ça à son propre enfant. J'estime que cette famille n'a pas sa place en France. Ils n'aiment pas la France, ils ne respectent pas les valeurs de la République. C'est mon avis. J'ai tout fait, avec mon mari, pour que mes enfants ne manquent de rien. Aujourd'hui ils sont grands et j'espère qu'ils sont heureux. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour les rendre heureux et nous en sommes fiers. J'étais très heureuse en tant que mère de voir comment mes enfants ont grandi et sont devenus des hommes et femme respectables… Mais ce terroriste m'a enlevé une part de ce bonheur, cette joie dans mon cœur. Aujourd'hui, mon cœur est blessé de l'intérieur et il ne guérira jamais. Mais j'essaie, malgré cette blessure, malgré cette plaie ouverte, malgré cette douleur, j'essaie de tendre la main à cette Jeunesse, de l'aider, d'aller vers elle, de l'accompagner, de l'aimer. Je veux expliquer que chacun doit être ouvert aux autres, ouvert au monde. Un jour, vous serez parents. Alors il faut montrer que le monde est beau et qu'on peut le rendre encore plus beau. Chacun de nous doit travailler pour le rendre meilleur. Et il faut avoir des rêves et se persuader qu'il est possible de les réaliser, maintenant ou plus tard. On ne réalise pas tout dans la vie parce-que la vie est pleine de surprises, mais on arrive à réaliser quelques rêves. Il faut rêver, aimer, ouvrir son cœur, donner. Quand on donne, on reçoit. Si on ne donne rien, on ne reçoit rien. Regardez-moi : je donne et je reçois, grâce à vous, grâce à toutes les personnes qui m'aident, me soutiennent et qui ont confiance en moi et en qui j'ai confiance également. C'est très important la confiance. Lorsque je fais confiance, c'est du plus profond de mon cœur, et je n'ai aucun doute. Chacun de nous doit créer la confiance. Lorsque l'on voit une personne qui ne semble pas "correcte", on tente de se mettre à sa place. On tente de comprendre, on essaye une première, puis deuxième, puis troisième fois jusqu'à lui donner sa chance. C'est comme ça avec la Jeunesse d'aujourd'hui, il faut faire preuve de patience.
"Pourquoi n'entrez-vous pas en politique ? Avoir par exemple un poste de consultante dans l'Éducation Nationale. Est-ce que cela vous a été proposé ?" Les élèves ont insisté sur le fait que j'avais la force, le courage et l'énergie nécessaire. "Les choses ne sont pas si simples. La vie est difficile aujourd'hui avec la crise sanitaire, les guerres, la haine qui a tendance à se propager, les fractures sociales. Il faut réparer tout ça et pour ma part, je préfère être sur le terrain." Les élèves m'ont demandé de ne pas m'arrêter et j'ai été très touchée car ils m'ont demandé de prendre soin de moi pour pouvoir continuer mon combat. Ils m'ont dit que je leur avais laissé quelque chose d'incroyable, comme une lumière… Ils m'ont dit que j'avais mis de la lumière dans leurs têtes et dans leurs cœurs et ont salué le fait que j'arrive à apporter du bonheur à partir d'un grand malheur. Je remercie tous les élèves et les professeurs pour l'accueil qui m'a été réservé, avec beaucoup de respect et d'attention. J'ai été très touchée par cette rencontre. »