Intervention grand public à Rignac
Pour la deuxième conférence, Madame Ibn Ziaten est intervenue dans la soirée du jeudi 19 mai, en présence de Monsieur le Maire, des professeurs des élèves qui étaient présents dans la conférence du matin et de certains parents qui sont venus voir et m'écouter Latifa parce que leurs enfants leur avaient parlé de mon intervention du matin. « J'ai commencé par me présenter. Ma mère a divorcé lorsque j'étais toute petite. Avec ma mère, mes trois frères et ma sœur, nous sommes partis vivre en Espagne. A l'époque, ce n'était pas bien vu de divorcer, il fallait "se cacher". Ma mère avait beaucoup de courage et a travaillé très dur toute sa vie. Nous n'avons jamais manqué de rien et surtout pas d'amour. Elle travaillait le soir dans une usine de poissons et la journée, elle s'occupait de nous. Malheureusement, elle est tombée malade et n'a pas voulu aller à l'hôpital car elle ne voulait pas nous quitter. J'avais 9 ans quand ma mère est décédée et mon père, qui vivait au Maroc, nous a récupérés. Mais il ne voulait pas que ma sœur et moi allions à l'école. Sa nouvelle femme voulait nous utiliser comme bonnes à tout faire. Je n'ai pas accepté cette situation. A 10 ans, j'ai donc démarré mon moteur et j'ai pris le bus, toute seule, pour rejoindre ma grand-mère chez qui je suis allée vivre. Elle m'a apporté beaucoup d'amour. Elle m'a dit qu'elle me donnerait tout ce qu'il faut, même si cela ne remplace pas l'amour d'une mère. Elle m'a tout appris, la langue arabe, le respect, les valeurs, le partage… J'avais 16 ans quand j'ai rencontré mon mari. Un vrai coup de foudre… Nous nous sommes mariés. Il vivait et travaillait en France. Alors à 17 ans, j'ai quitté le Maroc pour le rejoindre en France. C'était difficile pour moi car il y avait la barrière de la langue. J'ai quitté mes frères et sœurs et j'ai quitté ma grand-mère. J'ai beaucoup pleuré et ma grand-mère m'a demandé pourquoi tous ces pleurs. Elle voulait savoir si j'avais peur des Français. Mais je n'avais pas peur, ce qui me faisait peur, c'est comment dialoguer, comment comprendre et me faire comprendre. Alors ma grand-mère m'a dit que le regard était très important, et de toujours sourire, et que cela se voit dans les yeux et dans le cœur. Et c'est ce que j'ai fait. Je suis donc arrivée en France et j'ai rencontré des personnes qui m'ont ouvert les bras, qui m'ont aidée, mais parce-que je suis allée vers eux. Je voulais tout savoir de la femme française, connaître ses valeurs, sa culture, la musique, la façon de s'habiller. Cela m'intéressait beaucoup. Je me suis donc adressée à un Centre Social que j'ai fréquenté pendant plusieurs années. J'ai appris à parler le français, à l'écrire, à devenir autonome... Aujourd'hui, j'ai l'impression de ne pas retrouver la France d'alors. Il me semble que les Français sont plus divisés, plus méfiants, moins ouverts. Certaines personnes aujourd'hui n'ont pas la chance que j'ai eue à l'époque. Ne nous voilons pas la face, nous avons créé nous-mêmes des Merah en enfermant les gens entre eux, parce que nous avons fait des quartiers fermés, parce qu'il n'y a pas de mixité dans les écoles, parce que nous ne donnons pas les mêmes chances à ces jeunes. Ils doivent toujours "faire plus" que les autres… »
« Pourtant, le mélange des cultures, c'est ce qui fait la force de la France aujourd'hui. Cette France "multi couleurs" dont on doit être fiers. Nous devons tous vivre ensemble dans la dignité, et aimer la République. Voilà pourquoi et comment j'ai fondé l'association qui porte le nom de mon fils. Je voulais le faire pour sa mémoire, et il fallait que je rencontre ces jeunes qui n'ont plus de repères, et il fallait que j'entende les messages de cette jeunesse perdue. Je n'avais pas le choix. Il faut tendre la main à cette jeunesse. Certains jeunes sont à l'origine de ma souffrance, mais moi, je tends la main pour les aider. Le mois prochain, je vais emmener 12 jeunes au Maroc. Nous allons travailler ensemble, avec des jeunes marocains, pour édifier quelque chose, pour qu'ils puissent rentrer en France en ayant démarré leur moteur, pour qu'ils puissent trouver leur place dans la société. Il faut leur donner cette chance. Chaque jeune a des compétences, chaque jeune est capable de faire beaucoup de choses. Il ne faut pas enfermer les jeunes dans des cases. Il faut leur montrer de quoi ils sont capables, les accompagner. Ils sont l'avenir, ils sont la lumière, et il faut garder cette lumière allumée pour que notre Monde devienne plus beau. Je me sens parfois seule dans ce combat, mais je ne lâcherai rien. C'est ma mission. Je ne dois pas baisser les bras. Comme je l'ai dit ce matin aux élèves, je ne veux pas d'un autre Merah dans la société. Je ne veux pas entendre un jeune français me dire qu'il ne sait pas qui il est. Je veux montrer aux jeunes qu'ils peuvent être fiers d'être en France, le pays où ils sont nés. Je veux qu'ils se posent la question de ce qu'ils ont à offrir à leur pays. Il ne faut pas tout attendre de l'Etat. L'Etat ne peut pas tout régler tout seul. Chacun de nous doit donner un peu de son temps pour réussir et faire réussir cette jeunesse. Sans société, on ne peut pas avancer. Le peuple, c'est la République et nous devons avancer main dans la main. Je suis encore menacée aujourd'hui, mais je n'ai pas peur. Si j'ai peur, cela veut dire que je laisse l'ennemi gagner du terrain. Alors je suis prudente, mais je n'ai pas peur. A une question sur le voile, j'ai répondu que je porte un foulard (et non le voile) depuis le décès de mon fils. Il fait partie de moi et de ma foi. Je ne pense pas qu'il dérange qui que ce soit. En France, on peut s'habiller comme on veut. C'est ça la liberté. Il ne vaut pas toucher aux libertés individuelles, sinon, il n'y aura plus rien. Que restera-t-il si on perd la liberté ? Je remercie les participants pour l'accueil chaleureux et la grande qualité de l'écoute et des échanges, enfin je remercie de nouveau Monsieur Valayer pour l’organisation de ces belles rencontres pleine d’émotion. »